Making-of d'une planche d'Insane


1-Du scénario au crayonné

La sortie de cet album c'est mon évènement de ce début d'année, et bien que ce ne soit là que ma 7ème publication, (voir Clic et Clic pour les deux premières bandes-dessinées et voir la page "illustrations") c'est l'occasion ou jamais de faire une petite making-oferie pour présenter ma cuisine interne :



Quand je reçois le scénario, le plus simple est de l'annoter dans tous les coins de gribouillis, pour fixer les idées. Je fais tout l'album d'un coup, pour avoir une bonne vue d'ensemble. 






Quand tout est ainsi bien gribouillé et totalement illisible , je fais un storyboard au format d'impression, histoire d'avoir un rendu de l'espace occupé par chaque case et de me rendre compte de l'action générale. De cette façon je peux ré-intervenir sur chaque scène de l'album pour faire des ajustements.



En même temps viennent des idées de personnages et petit à petit leurs caractéristiques s'imposent au fil des pages. Je n'aime pas trop essayer de les définir trop tôt dans le processus d'élaboration de la BD, je trouve qu'ils sont plus justes quand on précise leur aspect après les avoir fait parler et jouer dans les scènes.






Pour Clarence, l'un des deux personnages principaux d'Insane, j'étais parti d'Apollinaire. Mais au fil du temps je lui ai Napoléonisé le nez et les arcades sourcilières, j'ai cherché aussi à lui donner quelque chose d'aristocratique que j'ai trouvé chez Oscar Wilde. Puis j'ai laissé doucement évoluer ces bases pour lui donner son aspect définitif (qui d'ailleurs ne ressemble pas du tout ni à Napoléon ni à Apollinaire et encore moins à O. Wilde... mais c'est exprès !)

Autant que possible je réalise tout l'album en storyboard afin de bien définir le rythme de l'histoire, ça me permet de bien répartir les effets scéniques. C'est une étape qui prend un bon mois, mais ensuite on gagne du temps parce que j'essaie de trouver autant que possible les cadrages et les positions définitives au moment de la réalisation du story.
C'est aussi lors de cette étape que je prend le maximum de docs en fonction des besoins que je rencontre, c'est le moment où l'histoire et chaque plan commencent à être bien présents à mon esprit et où je peux rapidement répartir par page les images de documentation qui me passent devant les yeux. Je prends tout ce que trouve, films, documentaires, photos sur internet, livres... puis je classe et archi-classe tout dans des dossiers. En général je termine avec des milliers d'images pour chaque album...


2-Du crayonné à l'encrage



Ensuite j'attaque le crayonné. Là aussi je fais tout l'album d'un coup dans cette technique. J'agrandis mon story au format 32x45 cm et je le re-crayonne en essayant de conserver les expressions et les cadrages. Je trouve qu'en général l'expression des visages est souvent plus efficace, plus juste et plus dynamique sur les brouillons que sur les images terminées, alors j'essaie de rester au plus près de l'impulsion de départ. Ici on voit qu'entre-temps j'ai décidé changer la coiffure de Clarence, avec des cheveux long il fait un peu moins sage. Comme j'avais commencé les crayonnés avec l'ancinne coiffure, j'ai du la reprendre sur toutes les pages précédentes. C'est l'avantage de travailler par techniques. Tant que la session d'encrage n'est pas commencée on peut presque tout changer.




J'essaie de faire une page crayonnée par jour...

Comme je suis toujours fourré en Espagne, j'achète du papier local, il s 'agit du Geller matte 250 gr, un sacrebleu de bon papier qui ne se laisse pas trouer comme ça, agréable à crayonner et qui tient bien l'encre, même après de nombreux gommages.

On arrive enfin à mon étape préférée : l'encrage. En général je n'ose pas trop commencer, j'ai peur de tout gâcher.

Je suis toujours à l'affût de l'outil formidable qui va faire tout seul un bel encrage, contrôlé, dynamique... enfin tout ! Je crois que j'ai trouvé : Le Windsor & Newton, série 7, n°1, avec de l'encre de même marque, qui a l'avantage d'être waterproof et bien noire. Tout le monde dit que c'est le meilleur pinceau pour l'encrage, j'en suis maintenant convaincu !



J'emmaillote toujours mon pinceau dans du Scotch noir pour grossir le manche un peu, et ne pas avoir l'avant-bras tétanisé après des heures d'encrage.

Avant je versais plutôt dans le fudepen, ces stylos pinceaux japonais hyper-pratiques, mais qui ont un débit d'encre moins contrôlable, je les ai tous essayés je crois, et après avoir écumé les boutiques spécialisées de la capitale, j'en fus réduit à aller directement au Japon, pour voir ce qui s'y faisait de beau en terme de fudepen. Là bas j'ai raflé tout ce qui me passait sous la main... et il y en avait ! Il y a des magasins aux rayons remplis de matériel spécialisés pour les mangas. Là-bas je me sentais comme Scrat le rat au paradis des noisettes !
Au final ma valise était trop petite pour tout ramener, à la dernière minute j'ai du abandonner une partie de mes vêtements...
Après avoir tout essayé, je retiens surtout le Kuretake à la pointe fine et le Kaimei en poils naturels. J'ai ramené aussi toutes sortes de feutres qu'utilisent les mangakas.
J'utilise ces feutres (kuretake et Neopiko de chez Deleter) pour les décors plus rigides.



J'essaie de garder le plus possible de vitalité dans l'encrage, mais en même temps il ne faut pas que l'oeil accroche trop sur chaque dessin, et puis on dit qu'il faut sacrifier un peu de ses prétentions artistiques sinon la lecture n'est plus fluide. J'essaie aussi d'être assez décontracté pour cette étape, si je rate, pas grave, je corriger avec de la gouache blanche et reprends au noir par-dessus. Comme je ne m'en prive pas, mes planches sont parfois un peu croûteuses ! 
Autre difficulté, le gommage du crayonné. Il a tendance à enlever de l'encre et à rogner certains traits, je dois souvent repasser un peu partout avec mon pinceau. Mais baste !
Là aussi j'essaie de faire une page encrée par jour, mais souvent je dépasse un peu...

Je scanne moi même en bitmap 1200 dpi et je remonte la page sur ordi avant de passer à la couleur.











3- De l'encrage à la couleur
Je fais mes couleurs sur des copies laser en très haute définition. Je passe du temps pour trouver un reprographe qui a une bonne imprimante parce que d'une machine à l'autre on trouve de sacrées différences...
Cette méthode n'est pas mal parce qu'à l'impression je récupère un encrage aussi précis que l'original et l'avantage de l'impression laser est que le trait imprimé ne bouge pas quand on mouille le papier.
Comme j'utilise un papier pas trop épais pour qu'il passe bien dans l'imprimante, je dois l'encoller selon les règles de l'art sur un planche de bois pour pouvoir récupérer une feuille bien plate lorsque les couleurs sont terminées.


J'utilise des encres aquarelle Colorex mais aussi des acryliques. Les Colorex ont l'avantage de pouvoir être remouillées et retravaillées, par exemple pour ajuster un modelé. Les acryliques, elles, une fois sèches, ne bougent plus. Elles servent à faire le "jus", la couleur de fond de la planche. Ici pour une scène de nuit je prépare un jus bleu.





Je travaille en même temps sur toutes les planches d'une même scène pour obtenir une bonne concordance d'ambiance.

Et voilà le résultat final, après scannage et quelques retouches à l'ordi...

Une fois livrée scrutée à la loupe et montée dans l'album par l'équipe de la fabrication, rendez-vous chez l'imprimeur pour les calages des couleurs. C'est une étape cruciale pour que le rendu final soit fidèle à l'intention de départ. 


L'album est ensuite monté dans l'imprimerie même qui possède d'immenses machines qui montent tout toutes seules à grand renfort de pinces et de petits bras mécaniques qui plient, qui coupent, et qui collent des milliers de livres.

...et voilà !




Commentaires

  1. Super making of ! Merci.
    Tu m'as refait baver avec tous tes fudepen !
    On peut pas en commander sur internet, des fois ?
    amitiés
    Manu

    RépondreSupprimer
  2. Anonyme16:21

    Un vrai travail de titan ! à suivre ...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés